
5 QUESTIONS POUR COMPRENDRE… LES DROITS DES ARTISTES INTERPRÈTES
10 juillet 2024Par :
Maître Christian Dudieu DJOMGA
Avocat spécialisé en contentieux de la Propriété Industrielle
Conseil en Propriété Industrielle Agréé OAPI
Mandataire Agréé OAPI
Enseignant Associé d’Universités
Commençons par un peu d’histoire. C’est au 18ème siècle, après la Révolution française, sous l’impulsion de Beaumarchais, que naît le droit d’auteur. Au 19ème siècle, la Convention de Berne initiée par Victor Hugo permet au droit d’auteur d’être reconnu internationalement, donnant par là même un vrai statut juridique à l’auteur dans l’ensemble des pays du monde. Depuis, de nombreuses évolutions ont vu le jour et permettent d’englober les nouvelles formes d’œuvres. Le statut juridique permet ainsi de protéger les auteurs, leurs œuvres et leurs droits.
Sur la plan international, le droit d’auteur est régi par la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886, telle que révisée à Paris le 24 juillet 1971, et/ou la Convention universelle sur le droit d’auteur révisée à Paris le 24 juillet 1971, et modifiée le 28 septembre 1979.
Ce droit est également régi par la Convention de Rome sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, du 26 octobre 1961, par le Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur le droit d’auteur adopté á Genève le 20 décembre 1996 et par le Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes adopté à Genève le 20 décembre 1996 . Il y’a enfin le Traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles du 24 juin 2012 et l’Accord de Bangui Révisé.
Sur la plan national et en application de l’article 20 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques qui dispose que « Les gouvernements des pays de l’Union se réservent le droit de prendre entre eux des arrangements particuliers, en tant que ces arrangements conféreraient aux auteurs des droits plus étendus que ceux accordés par la Convention, ou qu’ils renfermeraient d’autres stipulations non contraires à la présente Convention », le parlement camerounais a adopté le 19 décembre 2000 la Loi numéro 2000/011 relative au droit d’auteur et aux droits voisins.
L’économie de tous ces textes enseigne que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ».
De ce fait, personne ne peut utiliser l’œuvre d’un auteur sans son accord. Seul l’auteur décide s’il souhaite que son œuvre soit exploitée ou non. C’est son droit même si en général, les auteurs font des œuvres pour qu’elles soient vues ou écoutées. Les différentes sociétés de gestion collectives appliquent ces législations afin de défendre au mieux les droits des auteurs.
Les textes définissent l’œuvre comme une création intellectuelle qui peut être de divers types : du classique livre à la photographie, de la chorégraphie à la composition musicale, incluant les adaptations, transformations et arrangements d’œuvres. Le titre de l’œuvre, à condition de présenter un caractère original, bénéficie de la même protection que l’œuvre elle-même.
Le droit d’auteur couvre donc l’ensemble des œuvres dès lors qu’elles présentent un caractère original. Lorsqu’on parle de l’originalité d’une œuvre, il s’agit d’une définition juridique de la créativité de l’auteur, qui se distingue de la notion de nouveauté. Ainsi, une création reprenant une idée antérieure peut être originale, c’est-à-dire exprimer la personnalité de l’auteur. Par exemple, deux pièces de théâtre sur le même thème, réalisées à des moments différents ou par des auteurs différents, sont deux œuvres originales distinctes.
Enfin, le bénéfice de la protection par le droit d’auteur nécessite une mise en forme de l’œuvre ou concrétisation en une forme perceptible par les sens : le droit d’auteur ne protège pas les idées, les concepts ou les méthodes.
Relativement à l’auteur, il s’agit d’une personne, physique sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée. Certaines œuvres sont composées par plusieurs auteurs ou contributeurs, et peuvent même utiliser des œuvres préexistantes dont ils ne sont pas eux-mêmes les auteurs.
Le droit d’auteur confère deux types de droits :
- le droit moral qui protège les intérêts non économiques de l’auteur ;
- les droits patrimoniaux qui permettent au titulaire de droits de percevoir une rémunération pour l’exploitation de ses œuvres par des tiers.
S’agissant du droit moral, il convient de noter qu’une œuvre est le reflet de la personnalité de son auteur : ce lien très fort qui existe entre l’auteur et sa création est donc protégé par le droit moral. Ce droit moral confère à l’auteur le respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Il comporte les prérogatives suivantes :
- le droit de divulgation : Seul l’auteur a le droit de divulguer son œuvre. Il a le pouvoir de décider de rendre son œuvre publique ou non, ainsi que du moment et des modalités de la première communication de son œuvre.
- le droit de paternité : Il permet à l’auteur d’apposer son nom sur son œuvre ou s’il le souhaite, de rester anonyme ou encore d’utiliser un pseudonyme.
- le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre : L’auteur peut s’opposer à toute modification, altération, suppression ou ajout susceptible de modifier son œuvre initiale, tant dans la forme que dans le fond. Seul l’auteur peut en décider.
- le droit de retrait et de repentir : En contrepartie de l’indemnisation de celui auquel l’exploitation de l’œuvre a été cédée, l’auteur peut décider d’apporter des modifications à l’œuvre (droit de repentir) ou d’en faire cesser la diffusion (droit de retrait), à tout moment et sans avoir à justifier son choix.
Le droit moral est d’après l’article 14 alinéa 4 de la Loi Camerounaise n° 2000/11 du 19 décembre 2000 :
- un droit perpétuel : Cela signifie que le droit moral demeure après le décès de l’auteur, et même après l’extinction des droits patrimoniaux. Les ayants droit de l’auteur peuvent ainsi exercer ce droit, même si l’œuvre est tombée dans le domaine public.
- un droit inaliénable : Cela signifie qu’aucune clause de renonciation ne peut figurer dans un contrat sous peine de nullité, c’est-à-dire que l’auteur ne peut renoncer à son droit moral ni en céder l’exercice à un tiers.
- un droit imprescriptible : Cela signifie qu’il ne s’éteint pas avec le temps ; tant que l’œuvre existe, qu’elle soit exploitée ou non, l’auteur et ses ayants droit peuvent exercer leur droit moral.
Pour la jurisprudence, « puisqu’il est, de par la loi, incessible et attaché à la personnalité de l’auteur, ce droit moral ne peut être géré que par l’auteur lui seul et échappe ainsi à la compétence des Organismes de Gestion Collective ».
Cass Civ, 5 mai 1993
Affaire DE VILLIERS C/ SOLON Petites Annonces.
Aux termes de l’article 14 alinéa 1C de la Loi Camerounaise précitée, les attributs d’ordre moral comportent entre autres les droits exclusifs de « défendre l’intégrité de son œuvre en s’opposant notamment à sa déformation ou à sa mutilation ».
Contrairement aux droits patrimoniaux (les attributs d’ordre patrimonial du droit d’auteur emportent le droit exclusif pour l’auteur d’exploiter ou d’autoriser l’exploitation de son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire. Ce droit d’exploitation comprend le droit de représentation, le droit de reproduction, le droit de transformation, le droit de distribution et le droit de suite) qui sont cessibles et peuvent être gérés par les Organismes de Gestion Collective, les attributs d’ordre moral restent attachés à la personne de l’auteur.
Dès lors, le fait pour un artiste d’être membre d’une société de gestion collective ne lui ôte pas le droit d’agir personnellement en contrefaçon lorsque son droit moral est violé.
Ainsi, conformément à l’article 75 alinéa 3 de la loi camerounaise précitée, « les titulaires du droit d’auteur ou des droits voisins peuvent, aux fins de l’exercice de leurs droits, créer des organismes de gestion collective de droits d’auteurs et de droits voisins. Ces dispositions ne portent nullement préjudice à la faculté appartenant aux auteurs d’exercer directement les droits qui leurs sont reconnus par la loi ».
En outre, l’article 75 alinéa 2 de la même Loi précise qu’il « e peut être créé́ qu’un organisme par catégorie de droit d’auteur et de droits voisins. Les catégories sont déterminées par genre et par association nécessaire. les titulaires du droit d’auteur ou des droits voisins peuvent, aux fins de l’exercice de leurs droits, créer des organismes de gestion collective de droits d’auteurs et de droits voisins. Ces dispositions ne portent nullement préjudice à la faculté appartenant aux auteurs d’exercer directement les droits qui leurs sont reconnus par la présente loi » ;
Conformément à cette donc loi et à son Décret d’Application, il existe au Cameroun quatre (4) Organismes de gestion collective, chacune gérant des droits bien déterminés et exhaustifs : SOCILADRA (Société civile des droits de la littérature et des Arts dramatiques pour la Catégorie A: (littérature, arts dramatique, dramatico-musical, chorégraphique et autres arts de même genre) ; SONACAM pour la Catégorie B: (art musical) ; SCAAP (Société Civile des Arts Audiovisuels et Photographiques pour la Catégorie C: (arts audiovisuel et photographique) ; SOCADAP Société Civile des Arts Graphiques et Plastiques pour la Catégorie D: arts graphique et plastique). Chaque Organisme gère ses droits qui sont limitativement énumérés et ne peut pas s’immiscer dans la gestion des droits d’un autre organisme.
Mais « les auteurs ayant adhéré à une société de gestion collective n’en conservent pas moins l’exercice de leurs droits sur l’œuvre, dont ils peuvent demander la protection notamment par l’action en contrefaçon » ;
Cour de cassation, 1ere chambre Civile, 24 février 1998,
Revue Internationale du Droit d’auteur (RIDA) n° 3/1998 page 231
En réalité, toute œuvre littéraire ou artistique reflète ou exprime la personnalité de son auteur, mieux, porte l’empreinte de sa personnalité. Dès lors porter atteinte à l’œuvre, c’est porter atteinte à la personne même dont l’œuvre émane. L’auteur est donc fondé à interdire toute modification, mutilation, ajout et altération à son œuvre telle que divulguée. Il peut donc légitimement s’attaquer aux modifications faites sans son accord, telles que les mutilations, dénaturations ou transformation qui trahissent l’esprit de son œuvre. Le devoir de respecter l’intégrité de l’œuvre s’impose à tous. Toutes clauses ou conventions contraires sont nulles.
Cass Civ, 28 janvier 2003, Bull.Civ I, n° 28
C’est pourquoi la jurisprudence enseigne que « l’incorporation d’une mélodie dans une séquence publicitaire ne constitue pas une simple exécution publique de l’œuvre gérée par la société de gestion collective. Cette exploitation touche au droit moral et est soumise à l’autorisation de l’auteur » ;
Cour de Cassation, 1ere chambre civile, 17 décembre 1991
Affaire FIXOT et De ROTSCHILD c/ Neuburger
Revue du Droit de la Propriété Intellectuelle (RDPI) 1992, n° 40 page 93
« La violation de l’un de ces droits sans autorisation expresse et personnelle de l’auteur est constitutive de contrefaçon ».
Cour d’appel de Paris, 14 avril 1960, Dalloz 1960 .J. 535 Note Henri Desbois &
Cour d’appel de Paris, 4ème Ch, 17 février 1988, Affaire PONS c/ DE Staël, JCP éd ; G. 1989, I, 3376
La Convention de Berne régissant sur le plan international le droit d’auteur précise que « indépendamment des droits patrimoniaux de l’auteur et même après la cession desdits droits, l’auteur conserve le droit de s’opposer à la déformation, mutilation ou autre modification de son œuvre préjudiciable à son honneur ou à sa réputation » ;
Cour de Justice des communautés Européennes, Session du 20 octobre 1993, Revue Internationale du Droit d’auteur 1994, n° 159, page 304, affaire PHIL Collins contre Radio France Internationale
L’œuvre artistique est créée pour divertir. Modifier sa destination en l’incorporant sur une publicité commerciale ou en la synchronisant avec un message publicitaire change la perception de l’œuvre et ne correspond pas à la finalité qui motive, explique et justifie la divulgation initiale. une telle incorporation altère le caractère de l’œuvre conçue au départ comme un divertissement. En utilisant cette œuvre comme support visuel d’une plaquette publicitaire, le bénéficiaire de la publicité détourne cette œuvre de sa destination, la dénature et porte atteinte au droit moral de l’auteur. Il doit et doit réparer le préjudice moral subi par l’auteur de l’œuvre.
Cour de cassation, 1ere chambre civile, 28 janvier 2003, Bull Civ 1, n°28, page 23 ; Revue Internationale du Droit d’auteur (RIDA) Avril 2003, Page 415 ; D.2003, page 559
Confirmant cette jurisprudence, la Cour de cassation Française et la Cour d’Appel de Paris martèlent à l’unisson qu’ «utiliser une œuvre artistique à des fins de publicité commerciale change la perception de l’œuvre et ne correspond pas à la finalité qui motive, explique et justifie la divulgation initiale : il faut donc l’accord de l’auteur pour changer ainsi cette destination » ;
Cour, d’Appel de Paris 25 juin 1996, Revue Internationale du Droit d’auteur (RIDA) Janvier 1997, page 337.
&
Cour de cassation, 1ere chambre Civile, 28 janvier 2003, Bull Civ 1, n°28, page 23 ; Revue Internationale du Droit d’auteur (RIDA) Avril 2003, Page 415 ; D.2003, page 559.
La doctrine et la jurisprudence s’accordent pour dire que « pour qu’une œuvre soit exploitée à des fins publicitaires, elle doit recevoir l’autorisation expresse et écrite de l’artiste, car la synchronisation d’une œuvre avec un message publicitaire porte atteinte, par sa nature même, au droit moral de l’auteur. Le respect du droit à une œuvre en interdit toute altération qu’elle qu’en soit l’importance. »
Cour de cassation, 1ere chambre civile, 24 février 1998, Affaire TF1 c/ SONY, D.1998, IR 82
De même « l’incorporation d’une œuvre dans une affiche publicitaire altère le caractère de cette œuvre conçue au départ comme un DIVERTISSEMENT. En utilisant cette œuvre comme support visuel d’une plaquette publicitaire, le bénéficiaire de la publicité détourne cette œuvre de sa destination, la dénature et porte atteinte au droit moral de l’auteur, et doit réparer le préjudice moral qu’il subit » ;
Cour d’Appel de Paris, 4eme chambre 7 avril 1994, Affaire LA 5 c/ ISLAND Music, D.1994, IR 156
Confirmant cette jurisprudence, la Cour de cassation Française et la Cour d’Appel de Paris martèlent que constitue une atteinte à l’intégrité de l’œuvre le fait d’ «utiliser une chanson à des fins de publicité commerciale sans l’accord exprès de l’auteur » ;
Cour, d’Appel de Paris 25 juin 1996
Revue Internationale du Droit d’auteur (RIDA) Janvier 1997, page 337 op cit ;
La même jurisprudence enseigne que « l’incorporation d’une œuvre dans une séquence publicitaire ne constitue pas une simple exécution publique de l’œuvre gérée par la société de gestion collective. Cette exploitation touche au droit moral et est soumise à l’autorisation de l’auteur ».
Cour de Cassation, 1ere chambre civile, 17 décembre 1991,
Affaire FIXOT et De ROTSCHILD c/ Neuburger, RDPI 1992, n°40 page 93
Un contrefacteur ne saurait invoquer l’exploitation de bonne foi, car si nul n’est censé ignorer la loi, la méconnaissance de la législation ou de son interprétation n’exonère pas de la responsabilité pénale.
De même, le but poursuivi par le contrefacteur par exemple le caractère non lucratif, altruiste ou même la promotion à l’égard de l’auteur contrefait ne peut jamais caractériser la bonne foi.
Est également sanctionné le contrefacteur qui modifie une œuvre pour lui donner une destination qui porte atteinte aux conceptions artistiques et philosophiques de l’auteur.